Concept clé

L’astrogliose réactionnelle

De façon générale, dans le système nerveux de toutes les espèces en étant pourvues, de nombreuses cellules coexistent et participent de concert à son bon fonctionnement. Nous pouvons citer bien évidemment les neurones permettant la transmission d’informations à travers ce système grâce aux potentiels d'action mais ces cellules ne sont pas seules. En effet, le système nerveux est aussi composé, entre autres, des cellules gliales. Ces cellules ont été pendant très longtemps ignorées par les neuroscientifiques notamment car elles ne produisent pas de potentiels d'action.

Ces cellules ont été décrites très tôt par l’anatomopathologiste allemand Rudolf Virchow en 1856 qu’il baptisa alors « glie » (‘colle’ ou ‘glue’, en bref ce qui permet de coller les neurones entre eux), dont on attribue volontiers la découverte. On divise cette famille de cellules en trois sous familles :
- La neuroglie comprenant les astrocytes, les oligodendrocytes (permettant la myélinisation des axones du système nerveux central) et les épendymocytes (les cellules bordant le canal de l’épendyme et les ventricules cérébraux).
- La microglie permettant la défense immunitaire du système nerveux central.
- La glie périphérique principalement constituée des cellules de Schwann (permettant la myélinisation des axones du système nerveux périphérique).

Ici, nous nous intéresserons aux cellules astrocytaires et plus spécifiquement à l’« astrogliose réactionnelle ». 

Dans le système nerveux central (SNC) les astrocytes ont de multiples rôles dont le captage des neurotransmetteurs dans la fente synaptique, la modulation de la neurotransmission par le largage de « gliotransmetteurs » ainsi que la formation des synapses au cours du développement. En plus de ces rôles, les astrocytes sont classiquement décrits comme des cellules intervenant en support des neurones dans leur activité et intégrité. Ainsi, ils sont source de nutriments pour les neurones, permettent de capter les ‘déchets’ des neurones, enfin, ces cellules permettent de protéger le SNC notamment en cas d’agression (e.g. traumatisme crânien, ischémie, pathologies).

En cas d’agression cérébrale, les astrocytes peuvent devenir ‘réactifs’ conduisant à un phénomène que l’on nomme astrogliose réactionnelle. Une première définition de ce phénomène peut être « la réponse astrocytaire aux atteintes du SNC ». Cette définition peut être élargie pour devenir plus opérationnelle, elle se déploie alors en quatre points :
     1) L’astrogliose est l’ensemble des changements moléculaires, cellulaires et fonctionnels potentiels dans les astrocytes en réponse à tout type et à tous les degrés de gravité d'atteintes et pathologies du SNC.
     2) Les changements des astrocytes réactifs sont fonction de la gravité de l’atteinte (selon un continuum).
     3) Ces changements sont régulés par de nombreuses molécules de signalisation intracellulaire et intercellulaire. 
4) Ces changements peuvent modifier l’activité des astrocytes soit par le gain soit par la perte de fonctions. 

Un point crucial de cette définition est que l’astrogliose n’est pas, comme on pourrait le penser une réponse stéréotypée, mais hétérogène. En effet, selon la gravité de l’atteinte on passe d’une réponse dont ses conséquences sont réversibles, à une réponse aux conséquences irréversibles. Cette réponse astrocytaire suit donc un continuum.

Catégories de l’Astrogliose Réactionnelle
Conséquences
Astrogliose modérée
- Changements d’expression génique astrocytaire
- Hypertrophie astrocytaire (corps cellulaire et prolongements)
- Augmentation d’expression de GFAP (protéine acide fibrillaire gliale) proportionnellement au degré de réactivité
 Réversible
Astrogliose sévère
- Changements d’expression génique
- Hypertrophie
- Augmentation d’expression de GFAP
- Prolifération astrocytaire
- Chevauchement des prolongements astrocytaires
 Réorganisation tissulaire à long-terme
Astrogliose sévère avec formation d’une cicatrice
- Hypertrophie importante
- Augmentation d’expression de GFAP
- Prolifération astrocytaire importante
- Chevauchement des processus astrocytaires jusqu’à formation d’une cicatrice gliale en bordure de la lésion tissulaire
 Réorganisation tissulaire irréversible

Dans le cadre d’un traumatisme crânien, l’astrogliose réactionnelle suit aussi un gradient spatio-temporel selon (1) la distance entre l’astrocyte et la localité de l’atteinte, et (2) le temps qui s’est écoulé entre le traumatisme et la biopsie. 

Cette réponse astrocytaire est avant toute chose une réponse adaptative et bénéfique visant à réparer le tissu endommagé et protéger le tissu sain adjacent. Ainsi, lorsque l’astrogliose réactionnelle ou la formation d’une cicatrice gliale ne peut se mettre en place, il y a une augmentation de la réponse inflammatoire ainsi que des lésions tissulaires. Il semblerait donc que l’astrogliose réactionnelle permette de protéger le SNC contre les processus inflammatoires, les désordres ioniques, l’excitotoxicité ou encore le stress oxydatif.  
     Néanmoins, cette réponse à un certain degré peut avoir des conséquences néfastes pour l’organisme. En effet, la cicatrice gliale empêcherait, par exemple, la régénérescence axonale qui pourrait survenir à la suite d'une lésion cérébrale.

    Ce paradoxe a été l'objet de nombreux débats, en effet, comment est-il possible que la réponse astrocytaire puisse à la fois permettre et empêcher la récupération fonctionnelle du SNC ? Est-ce uniquement une question de degré ? Des travaux ont montré que ce n'était pas que quantitatif mais aussi qualitatif. Il existerait ainsi deux types d'astrocytes réactifs, des astrocytes réactifs de type 1 (i.e. A1) et de type 2 (i.e. A2) :

- Les astrocytes réactifs A1 empêcheraient la récupération fonctionnelle du SNC. Il a été montré que ces astrocytes favorisent la transcription de gènes conduisant à la destruction synaptique.
- Les astrocytes réactifs A2 permettraient la récupération fonctionnelle du SNC. Il a été montré que ces astrocytes favorisent la transcription de gènes conduisant à la synthèse de facteurs neurotrophiques, ayant un effet protecteur pour les synapses.

     L’astrogliose réactionnelle peut induire des modifications fonctionnelles des astrocytes et par là même des neurones. En effet, les astrocytes et les neurones entretiennent des liens étroits au sein du SNC. Ainsi, les astrocytes réactifs peuvent induire :

- Une réduction des courants post-synaptiques inhibiteurs (i.e. GABAergiques) causée par une diminution de l’expression de la glutamine synthétase contenue dans les astrocytes.
- Une augmentation de la neurotransmission glutamatergique (i.e. excitatrice) causée par une augmentation de l’expression de xCT, un transporteur astrocytaire cystéine-glutamate permettant la libération de gluatamate dans l'espace extracellulaire. Ce phénomène - probablement conjugué au précédent - peut être à l'origine de convulsions (dans le cadre d’une crise épileptique) et d'excitotoxicité.
- Des changements dans l’expression de nombreux récepteurs couplés à une protéine G, de protéines G, et de la voie de signalisation calcique intracellulaire. 

Par ailleurs, il a été montré un rôle des astrocytes dans le sommeil, la douleur, les troubles dépressifs ainsi que des troubles neurodéveloppementaux (par altérations du développement synaptique). 
Enfin, les astrocytes seraient impliqués dans diverses pathologies neurologiques du SNC et maladies neurodégénératives (e.g. maladie d'Alzheimer). Par exemple, dans le cadre de l'épilepsie post-traumatique il a été supposé que l'astrogliose réactionnelle aurait pour effet d'augmenter le nombre de synapses excitatrices pour compenser les pertes causées par le trauma crânien. Mais ceci conduirait à faciliter la survenue de crises épileptiques.

    Les astrocytes constitueraient donc une cible thérapeutique potentielle contre les pathologies du SNC. Il pourrait alors être envisagé de potentialiser les effets bénéfiques de l’astrogliose réactionnelle (en lien avec la préservation du tissu sain) et d’inhiber les effets néfastes de l’astrogliose réactionnelle. Notamment en agissant sur les mécanismes permettant la régulation du glutamate, les enzymes régulant le stress oxydatif ainsi que la production de certaines cytokines (i.e. molécules de signalisation cellulaire notamment mises en jeu lors de la réponse immunitaire). Il a par exemple été montré un lien étroit entre l’astrogliose et l’excitotoxicité glutamatergique (à l’œuvre dans les maladies neurodégénératives) due à un transport moins efficace du glutamate extracellulaire dans les astrocytes (probablement soit à cause d’une baisse du nombre de transporteurs soit d’une baisse de leur activité).

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